CHAPITRE 45

Ben posa la main sur quelque chose de dur, de lisse et de poussiéreux ; une porte de fer solide, équipée d’un pesant loquet. Il le souleva et poussa la porte qui émit un bref grincement aigu. De toute évidence, cela faisait des dizaines d’années qu’on ne l’avait pas ouverte. Il poussa de tout son poids. Les gonds gémirent, le battant pivota.

Il se retrouva dans un espace plus vaste, mais pas immense. Ses yeux, habitués à l’obscurité, commencèrent à discerner des formes. L’étroit rayon de lumière le mena vers une autre porte. Il tâtonna à droite et à gauche, à la recherche d’un interrupteur.

Quand il le trouva, une seule et unique ampoule s’alluma au plafond.

La pièce où il se tenait ressemblait à une petite resserre. Les murs de pierre étaient couverts d’étagères d’acier peint en beige sale supportant de vieilles boîtes en carton, des caisses en bois et des conteneurs métalliques cylindriques.

Il ôta son casque et son bonnet de laine, puis le sac qu’il portait sur le dos, d’où il sortit les deux pistolets semi-automatiques. Puis posa le tout, sauf les armes, sur l’une des étagères. Il glissa l’un des pistolets dans la ceinture de son pantalon, au niveau des reins, et garda l’autre dans la main, tandis qu’il étudiait la photocopie du plan au sol. L’endroit avait certainement été restauré depuis l’époque de l’usine horlogère, mais le plan de base n’avait pas dû beaucoup changer. Les murs porteurs se trouvaient sans doute à la même place.

Il essaya la poignée de la porte qui tourna facilement.

Il émergea dans un couloir vivement éclairé. Un sol dallé de pierre, un plafond voûté. Personne en vue.

Sans réfléchir, il tourna à droite. Les semelles Vibram de ses bottes d’escalade amortissaient le bruit de ses pas. En dehors du léger crissement du cuir mouillé, il ne faisait aucun bruit en marchant.

Il n’avait parcouru que quelques mètres lorsque quelqu’un apparut au bout du couloir, et se dirigea droit vers lui.

Garde ton calme, se dit-il. Fais comme si de rien n’était.

Ce n’était pas facile, accoutré comme il l’était, dans son équipement d’alpiniste trempé, crotté et ses lourdes bottes. D’autant plus que les blessures qu’ils avaient reçues au visage, à Buenos Aires, étaient encore visibles.

Vite maintenant.

Il remarqua une porte sur sa gauche. Il s’arrêta, écouta un instant, puis l’ouvrit en espérant qu’il ne trouverait personne de l’autre côté.

Comme il passait la tête par l’entrebâillement, la silhouette le dépassa. C’était un homme vêtu d’une tunique ou d’une combinaison blanche. Une arme de poing était glissée dans l’étui qu’il portait à la taille.

La pièce mesurait environ six mètres sur cinq. La lueur venant du couloir lui permit de constater qu’il s’agissait à nouveau d’une sorte de réserve, tapissée d’étagères de métal, comme la première. Il repéra un interrupteur et alluma.

Le spectacle qui s’offrit à ses yeux était trop épouvantable pour être réel et, pendant un moment, il crut dur comme fer qu’il était en proie à une atroce illusion d’optique.

Mais ce n’était pas une illusion.

Dieu du ciel, pensa-t-il. C’est impossible.

Regarder était une souffrance et pourtant il ne pouvait s’en empêcher.

Sur les étagères étaient alignées des bouteilles de verre poussiéreuses, certaines aussi petites que les bocaux que Mrs. Welch utilisait pour ses conserves de fruits, certaines hautes de soixante centimètres.

Chaque bouteille contenait une sorte de liquide, sans doute un conservateur, du formol peut-être, légèrement troublé par le temps et les impuretés.

Et flottant à l’intérieur, comme des cornichons au vinaigre, un par bouteille…

Non, c’était un cauchemar.

Il avait la chair de poule.

Chaque bouteille contenait un bébé.

Les plus petites recélaient de minuscules embryons, au premier stade de la grossesse, des petites crevettes rose pâle, des insectes translucides avec des têtes énormes, grotesques, et des queues.

Puis des fœtus de trois centimètres à peine, recroquevillés, aux bras atrophiés, aux têtes surdimensionnées, suspendus dans les linceuls de leurs poches amniotiques.

D’autres, à peine plus grands, ressemblaient déjà à des êtres humains. On les voyait flotter dans des sacs parfaitement ronds, avec leurs jambes croisées, leurs bras tendus, leurs yeux pareils à des raisins secs, nimbés des lambeaux de la membrane chorionique.

Des enfants en miniature, les yeux fermés, suçant leur pouce, un enchevêtrement de membres minuscules et parfaitement formés.

Les bouteilles étaient rangées par ordre de taille. Dans les plus grandes flottaient des bébés viables, prêts à naître, emmaillotés dans les volutes translucides du liquide amniotique. Paupières closes, bras et jambes déployés, leurs petites mains tantôt ouvertes tantôt fermées. Leurs cordons ombilicaux sectionnés ondulaient autour d’eux.

Il devait y avoir là une centaine d’embryons, de fœtus et de bébés.

Chaque bouteille portait une étiquette où étaient indiqués, dans une écriture impeccable et en allemand, une date (celle où on les avait arrachés de la matrice ?), l’âge prénatal, le poids en grammes et la taille en centimètres.

Les dates s’échelonnaient de 1940 à 1954.

Gerhard Lenz avait utilisé des bébés et des petits enfants pour ses expériences.

C’était pire que tout ce qu’il avait pu imaginer. Cet homme n’avait rien d’humain, c’était un monstre… Mais pourquoi ces objets sinistres étaient-ils encore entreposés en ce lieu ?

Ben avait du mal à se retenir de hurler.

Il se dirigea en vacillant vers la porte.

Sur le mur, en face de lui, s’alignaient des récipients de verre, hauts de trente centimètres à un mètre cinquante, et de soixante centimètres de circonférence, dans lesquels flottaient non pas des fœtus mais de jeunes enfants.

Des petits êtres tout ratatinés. De minuscules nouveau-nés, des bambins, des enfants de sept ou huit ans.

Des enfants touchés par cette terrible maladie, songea-t-il. La progéria.

Leurs visages étaient ceux de vieillards.

Sa peau se hérissa.

Des enfants. Des enfants morts.

Il pensa au malheureux père de Christoph dans son appartement lugubre.

Mon Christoph est mort heureux.

Un sanatorium privé, avait dit la femme de la fondation.

Un endroit très fermé et très luxueux, avait-elle ajouté.

Pris de vertige, il se détourna et, sur le point de sortir, entendit des bruits de pas.

Regardant avec précaution par l’entrebâillement, il vit s’approcher un autre garde vêtu de blanc. Aussitôt, Ben se réfugia derrière la porte.

Avant que le garde ne disparaisse, Ben se racla volontairement la gorge. Les pas s’arrêtèrent.

L’homme entra dans la pièce. Aussi vif qu’un cobra, Ben bondit et écrasa la crosse de son arme sur la nuque de l’homme qui s’écroula.

Ben ferma la porte, posa les doigts sur le cou du garde et chercha la veine jugulaire. Vivant mais inconscient pour un bon bout de temps, certainement.

Il lui enleva son holster, en sortit le Walther PPK, puis le défit de sa combinaison blanche.

Ensuite, il se débarrassa de ses vêtements trempés et enfila l’uniforme. Il nageait dedans mais ça pouvait aller. Heureusement les chaussures étaient à sa taille. Avec le pouce, il donna un petit coup sur la gauche du glissoir du Walther et retira le chargeur. Les huit cartouches de cuivre étaient là.

Maintenant, il possédait trois armes de poing. Un véritable arsenal. Il fouilla les poches de la combinaison mais n’y trouva qu’un paquet de cigarettes et un badge électronique dont il s’empara.

Puis il s’engagea dans le couloir, jeta un coup d’œil à droite et à gauche pour s’assurer qu’il était vide et se mit en route. Il arriva devant un grand ascenseur aux portes d’acier mat. Une installation fort moderne pour un bâtiment aussi ancien. Il appuya sur le bouton d’appel.

Il y eut un petit ping et les portes s’ouvrirent aussitôt. La cabine était tendue d’un capiton gris. Il entra et inspecta le panneau de commande. Pour que l’ascenseur démarre, il fallait y insérer une carte électronique. Il se servit de celle du garde, puis appuya sur le bouton du rez-de-chaussée. Les portes se fermèrent rapidement, l’ascenseur démarra d’un bond et s’ouvrit quelques secondes plus tard sur un tout autre monde.

Un corridor ultra-moderne, vivement éclairé, qui n’aurait pas détonné dans le siège social d’une grande entreprise.

Les sols étaient recouverts de cette moquette grise qu’on voit dans tous les immeubles de bureaux ; les murs, bien différents des parois suintantes du sous-sol, étaient carrelés de blanc. Deux hommes en blanc, des médecins peut-être, passèrent devant lui. L’un d’eux poussait un chariot de métal. L’autre regarda Ben sans le voir.

D’un pas résolu, il s’engagea dans le couloir. Deux jeunes femmes asiatiques, en blouse blanche elles aussi, se tenaient près d’une porte ouvrant sur une sorte de laboratoire. Elles discutaient dans une langue que Ben ne parvint pas à identifier. Tout à leur conversation, elles ne lui prêtèrent aucune attention.

Ensuite, il pénétra dans un atrium vaste et lumineux, éclairé à la fois par une douce lumière artificielle et par les derniers rayons du soleil qui filtraient à travers les fenêtres garnies de verre cathédrale. Il s’agissait sans doute de l’ancien hall d’entrée du Schloss, réaménagé avec art. Un élégant escalier de pierre conduisait aux étages. On remarquait de nombreuses portes sur le pourtour du hall, chacune marquée d’une affichette blanche, sur laquelle on voyait inscrits en caractères d’imprimerie noirs, un chiffre et une lettre. Elles ne s’ouvraient qu’au moyen d’un badge et donnaient sans doute accès à des couloirs.

Une douzaine de personnes allaient et venaient, traversant le hall, circulant dans les couloirs, empruntant les escaliers, attendant devant les ascenseurs. La plupart portaient des blouses, des pantalons larges et des tennis. Le tout d’un blanc immaculé. Les gardes se distinguaient par leur combinaison et leurs grosses chaussures noires. Un homme en blanc passa près des

Asiatiques et leur glissa un mot : les deux femmes firent demi-tour et regagnèrent le laboratoire. De toute évidence, l’homme était un supérieur, un responsable.

Deux brancardiers traversèrent le hall en transportant un vieil homme immobile en chemise d’hôpital bleu pâle.

Un autre patient pareillement vêtu emprunta le même chemin pour passer du corridor 3A au corridor 2B. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, encore vigoureux malgré sa curieuse façon de marcher. Il boitait comme s’il était perclus de rhumatismes.

Que diable signifiait tout cela ?

Où cachaient-ils Anna, à supposer qu’elle se trouvât bien ici ?

Cette clinique était bien plus grande, plus grouillante qu’il ne l’avait imaginée. Quelles que fussent les activités pratiquées en ces lieux – quelle que fût la raison d’être des épouvantables spécimens entreposés au sous-sol – elles monopolisaient un nombre incroyable de participants, patients, médecins et chercheurs.

Elle est ici, quelque part, je sais qu’elle est ici.

Mais est-elle saine et sauve ? Vivante ? Si elle avait découvert leurs horribles entreprises, l’auraient-ils laissée en vie ?

Il faut que je bouge. Tout de suite.

Il traversa en hâte l’atrium, le visage impassible, comme un vigile qu’on aurait envoyé régler un problème, et s’arrêta à l’entrée du corridor 3B où il inséra sa carte électronique, en espérant qu’elle donnait accès à ce secteur.

La serrure émit un petit déclic. Il pénétra dans un long couloir blanc, semblable à n’importe quel couloir d’hôpital.

Parmi les nombreuses personnes qui circulaient dans cet espace, il remarqua une femme en uniforme blanc, probablement une infirmière. Elle tenait un petit enfant en laisse.

Comme un grand chien obéissant.

Ben observa l’enfant, sa peau parcheminée, son visage ridé et ratatiné. Le petit garçon était atteint de progéria. Il se souvint des photos qu’il avait vues dans l’appartement du malheureux père, quelque temps auparavant. Ce gosse-là ressemblait terriblement au petit Christoph, il ressemblait aux enfants morts entreposés dans la sinistre cave de la clinique.

Le garçon marchait d’un pas hésitant, en vacillant comme un vieillard.

D’abord fasciné, Ben sentit monter en lui une colère froide.

Le garçon s’arrêta devant une porte et attendit patiemment que l’infirmière qui le tenait en laisse introduise dans la serrure la clé attachée à son cou par un lacet. La porte s’ouvrit sur une grande salle vitrée.

Dans un hôpital classique, cette pièce tout en longueur aurait pu servir de nurserie. Mais ici les pensionnaires étaient tous atteints de progéria. Ben dénombra sept ou huit petits malades. À première vue, on aurait pu les croire en laisse, eux aussi ; mais en regardant plus attentivement, Ben nota les tubes de plastique clair qui leur sortaient du dos. Ces tubes étaient reliés à de petites colonnes de métal brillant. Les enfants étaient tous sous perfusion. Ils n’avaient ni sourcils ni cils, leur tête était petite et fripée, leur peau ridée. Certains d’entre eux marchaient en soufflant comme des vieux.

D’autres, accroupis sur le sol, s’amusaient tranquillement à constituer des puzzles. Deux enfants jouaient ensemble, leurs tubes emmêlés. Une petite fille portant une longue perruque blonde se traînait à quatre pattes en chantonnant, en marmonnant des paroles incompréhensibles.

La Fondation Lenz.

Quelques enfants progériques triés sur le volet étaient invités chaque année à séjourner dans la clinique.

Aucune visite n’était autorisée.

Mais rien à voir avec un camp de vacances, une maison de repos. Les gosses étaient traités comme des animaux. Ils servaient de cobayes humains.

Dans la cave, des petits cadavres conservés dans le formol. Ici des enfants qu’on traitait comme des chiens.

Un sanatorium privé.

Ce n’était ni un sanatorium ni une clinique, la chose était claire à présent.

Alors qu’était-ce ? Quelles sortes de « recherches scientifiques » menait-on ici ?

Au bord de la nausée, il se détourna et poursuivit son chemin. Le couloir se termina bientôt. À sa gauche, il vit une porte rouge, verrouillée par un système électronique. Contrairement à la plupart des autres portes donnant sur ce couloir, celle-ci n’avait pas de lucarne.

En outre, elle ne comportait aucune indication. Ben était bien résolu à découvrir ce qui se cachait derrière.

Il inséra son badge électronique mais rien ne se produisit. Apparemment cette porte-là était réservée à une certaine catégorie de personnel.

Au moment où il s’apprêtait à partir, elle s’ouvrit.

Un homme vêtu de blanc apparut, un clip-board à la main. Un stéthoscope dépassait de sa poche. Un médecin. L’homme se contenta de lui jeter un coup d’œil, hocha la tête et lui tint la porte. Ben en profita pour entrer.

Le spectacle qui s’offrit à lui le plongea dans la plus grande stupeur.

*

La salle avait la dimension d’un terrain de basket, de hauts plafonds de pierre voûtés et des fenêtres ornées de vitraux. C’était tout ce qui restait de l’architecture originelle. Le plan au sol laissait présumer que cette immense salle avait servi de chapelle. Une chapelle aussi grande qu’une église. Peut-être avait-elle été reconvertie en atelier d’horlogerie, par la suite. Elle devait mesurer plus de trente mètres de long, peut-être autant de large. Le plafond s’élevait à quelque dix mètres de hauteur.

Aujourd’hui, c’était une salle de soins tenant aussi du club de gymnastique. Un club à la fois bien équipé et d’aspect Spartiate.

Dans un coin, étaient alignés des lits d’hôpital, séparés les uns des autres par des rideaux. Certains étaient vides ; d’autres, au nombre de cinq ou six, étaient occupés par des patients allongés sur le dos et reliés à des sortes de moniteurs et à des appareils de perfusion.

Ailleurs, on voyait une longue rangée de tapis de jogging noirs, tous assortis d’un moniteur EKG. Seuls quelques tapis étaient utilisés. Des vieillards, hommes et femmes, couraient sur place, hérissés d’électrodes, de sondes qui leur dépassaient des bras, des jambes, du cou et de la tête.

Le reste de l’espace servait à accueillir les bureaux des infirmières, les respirateurs, les appareils d’anesthésie. Une douzaine de médecins et d’infirmières s’affairaient en passant d’un patient à l’autre. Sur le pourtour de la salle, à six mètres du sol et trois du plafond, courait une passerelle.

Ben s’aperçut que son immobilité risquait d’éveiller les soupçons. En tant que garde, il devait se comporter comme s’il accomplissait une mission. Aussi s’éloigna-t-il du seuil et d’un pas lent et déterminé se mit-il à arpenter les lieux, en jetant des coups d’œil d’un côté et de l’autre.

Un vieillard était installé dans un fauteuil moderne en cuir noir et acier. Un tube de plastique reliait son bras à un appareil de perfusion. L’homme discutait au téléphone, un dossier rempli de papiers posé sur les genoux. À part ça, il avait toutes les apparences d’un patient.

Le crâne de l’homme était couvert de cette sorte de duvet qu’on voit sur la tête des nourrissons. Sur les tempes, ses cheveux devenaient plus épais, plus drus. Ils étaient noirs ou brun foncé aux racines et blancs ou gris aux pointes.

Son visage ne lui était pas inconnu. Il avait souvent fait la couverture de Forbes ou de Fortune, se dit Ben.

Un homme d’affaires, un investisseur, une célébrité en tout cas.

Mais oui ! C’était Ross Cameron. Celui qu’on surnommait le « sage de Santa Fe ». L’un des hommes les plus riches du monde.

Ross Cameron. C’était lui, sans aucune hésitation.

Un individu beaucoup plus jeune était assis près de lui. Ben le reconnut d’emblée. Arnold Carr, le milliardaire fondateur de Technocorp. Âgé d’une quarantaine d’années, il avait fait fortune dans l’informatique. Personne n’ignorait l’amitié qui unissait Cameron et Carr ; Cameron était le mentor, le gourou de Carr, ils entretenaient une relation père-fils. Carr, lui aussi, était placé sous perfusion et discutait au téléphone comme s’il négociait quelque affaire importante. Mais à la différence de son aîné, il n’avait pas de papiers sur les genoux.

Deux célèbres milliardaires assis côte à côte, comme deux clients attendant leur tour chez le coiffeur.

Dans une « clinique » des Alpes autrichiennes.

Quelle sorte de liquide pouvaient bien contenir ces perfusions ?

Ces gens étaient-ils en observation ? Subissaient-ils un traitement ? Quelque chose de fort étrange se passait ici, quelque chose d’assez secret, d’assez important pour justifier la présence de ce bataillon de miliciens armés jusqu’aux dents, d’assez important pour qu’on lui sacrifie des vies.

Un troisième homme s’avança vers Cameron et lui lança quelques mots en guise de bonjour. Ben reconnut le président de la Réserve fédérale. Un septuagénaire faisant partie des personnalités les plus respectées de Washington.

Non loin de là, une infirmière installait un garrot sur le bras de… Eh bien, ce ne pouvait être que Sir Edward Downey, mais il semblait si jeune qu’on se serait cru revenu à l’époque où il dirigeait le gouvernement britannique, voilà une trentaine d’années.

Ben continua d’avancer vers les tapis de jogging. Un homme et une femme essoufflés couraient côte à côte, tout en devisant. Vêtus d’un pantalon de jogging, d’un sweat-shirt gris et de tennis blanches, ils étaient affublés de plusieurs électrodes. Au front, derrière le crâne, sur le cou, les bras et les jambes. Dans leur dos, dépassaient les fils qui reliaient ces électrodes aux moniteurs Siemens enregistrant leur rythme cardiaque.

En un clin d’œil, Ben les reconnut.

L’homme n’était autre que le Dr Walter Reisinger, le fameux professeur de Yale, devenu par la suite secrétaire d’État. Reisinger semblait jouir d’une santé bien meilleure que les dernières fois où Ben l’avait vu à la télé ou dans les journaux. Sa peau luisait, sûrement à cause de la transpiration, et ses cheveux paraissaient plus sombres. Il avait dû les teindre.

Sa compagne ressemblait étrangement à Miriam Bateman, Premier magistrat de la Cour suprême. Mais tout le monde savait bien que Miriam Bateman souffrait d’arthrite. Elle était presque infirme. Quand les juges de la Cour suprême faisaient leur entrée en file indienne, pour assister au discours sur l’état de l’Union, Bateman se traînait toujours derrière eux, en s’aidant d’une canne.

Cette femme – le juge Bateman – était en train de courir comme une athlète olympique à l’entraînement.

Toutes ces personnes étaient-elles des sosies de célébrités ? se demanda Ben. Des doubles ? Mais alors, pourquoi les perfusions ?

Il y avait quelque chose d’autre.

Il entendit le clone du Dr Reisinger glisser quelques mots au clone du juge Bateman sur « la décision de la Cour ».

Ce n’était pas un clone. C’était bien le juge Miriam Bateman.

Quelle était la vocation de cette clinique ? S’agissait-il d’une sorte de station thermale réservée aux grands de ce monde ?

Ben savait que de tels établissements existaient. Il y en avait en Arizona, au Nouveau-Mexique ou en Californie, quelques-uns en Suisse ou en France. Fréquentés par l’élite, ils faisaient office de maisons de repos après les opérations esthétiques ; on y pratiquait aussi des cures de désintoxication, ou d’amaigrissement pour ceux qui voulaient se débarrasser de leurs kilos superflus.

Mais ça… ?

Les électrodes, les perfusions, les écrans EKG… ?

Ces gens célèbres – rien que des vieillards, hormis Arnold Carr – faisaient l’objet d’une surveillance de tous les instants. Pour quelle raison ?

Ben se rapprocha d’une rangée de StairMasters. Sur l’un d’eux, un vieil homme s’activait avec autant de vigueur que Ben en mettait lui-même lorsqu’il fréquentait son propre club de gym. L’homme – dont le visage ne lui disait rien – portait la même tenue de sport grise. Le devant de son sweat-shirt était imbibé de sueur.

Certains jeunes athlètes que Ben connaissait auraient été incapables de soutenir plus de quelques minutes un rythme aussi épuisant. Comment ce vieillard ridé, aux mains couvertes de taches, pouvait-il rivaliser avec eux ?

« Il a quatre-vingt-seize ans, tonna une voix masculine. Remarquable, n’est-ce pas ? »

Ben regarda autour de lui avant de lever la tête. La personne qui venait de parler se tenait debout sur la passerelle, juste au-dessus de lui.

C’était Jürgen Lenz.

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